Quelques réflexions pour notre marche commune vers pâques.
Chers amis, Je voudrais vous proposer ces quelques réflexions, fruit de ma méditation. Il s’agit d’une contribution pour notre discernement, notre prière, alors que nous empruntons la route vers pâques. Puissons-nous, durant ce temps du carême, avoir la joie de nous laisser renouveler par le Seigneur pour que nous puissions mieux témoigner de Jesus.
1. Indéniablement Seychelles a connu une forte croissance économique à partir des années post-indépendance.
1.a Cette croissance économique a entrainé une nette amélioration des conditions de vie pour la majorité de la population : plus de confort matériel, sortie de la misère noire, (travay pou ganny manze tanto!) scolarité pour tous, meilleur soin de santé, une pension de retraite pour tous, valorisation de la langue et de la culture créole, ouverture sur le monde extérieur grâce à la TV, les voyages ainsi qu’au développement de la technologie informatique. Plus important, les Seychellois ont pris leur destin en main dans tous les secteurs de la société Seychelloise.
1.b Ce corps social en croissance a connu aussi des soubresauts et des souffrances dont nous sommes plus conscients après avoir écouté différents témoignages à travers ‘la Commission Justice et réconciliation’.
2. Nous ne pouvons pas non plus ne pas constater qu’au cœur de notre société en mutations (ce qui est vrai pour toute société ), notre corps social enregistre comme des fortes poussées de fièvre dont les principaux symptômes sont, entre autres :
Un pourcentage important de notre population qui est esclave des addictions, principalement la drogue, l’alcool et les jeux du hasard.
Une fragilisation des familles liée à la violence, différentes formes d’abus, y compris sur les mineurs; une banalisation de la sexualité et un brouillage des repères.
Un taux de criminalité inquiétant dont nous avons malheureusement trop souvent l’écho dans des journaux télévisés ou à la radio.
Notre art de vivre ensemble dans ses différentes composantes (nourriture, langage, habitat etc), c’est à dire notre culture créole, est menacé par les vents contraires de la mondialisation.
3. Nous ne pouvons pas non plus ne pas nous interroger : quelles en sont les causes de ces symptômes? Quelles sont les raisons de ce mal- être ?
Est-ce lié à cette course effrénée à la consommation ? les temples de la consommation et du shopping semblent plus attrayants que les églises !
Est-ce lié à un modèle de société où le paraitre, lanmizman, le tout de suite, la compétition à outrance par rapport à mon voisin, mon collègue de travail etc semble avoir pris le dessus sur des valeurs traditionnels telles: I’effort, les principes de vie, le partage …
Est-ce lié au fait que cette compétition à outrance entraine des besoins (non essentiels) toujours plus importants à satisfaire et cela à n’importe quel prix, même si cela implique de vendre son âme au diable comme par exemple en devenant marchand de drogue, donc de mort?
Y a-t-il un lien entre ce vide existentiel – une vie vide de sens car réduit à la consommation – et les dérives que nous assistons dans nos familles et dans les différentes couches de la société ?
3.a. Nous sommes bien à un carrefour de notre histoire commune. Nos choix (ou nos non-choix) pèseront lourdement sur la société au sein de laquelle nous voulons vivre et que nous voulons laisser aux générations futures. Mais comme le fait remarqué une théologienne: « Il faut se préoccuper de la planète qu’on laisse aux enfants mais aussi les enfants qu’on laisse à la planète. »
4. Bien évidemment que la Communauté chrétienne est au cœur de cette pâte humaine et non pas à coté ou au-dessus ! Comme nous le rappelle ce texte du second Concile Vatican II : « les joies et les espoirs, les tristesses et les angoisses des hommes de ce temps, surtout les pauvres et ceux qui souffrent, sont aussi les joies et les espoirs, les tristesses et les angoisses des disciples de Jésus ». (Gaudium et Spes.)
4.a L’Eglise Catholique qui est aux Seychelles, à l’invitation du pape François, comme les autres Eglises particulières, vit actuellement un synode sur la synodalité.
Une Eglise synodale est une Eglise où il n’y a pas d’un côté les chefs et de l’autre des suiveurs.
Une Eglise synodale est une communauté de croyants, un peuple en marche, afin de discerner dans l’Esprit Saint ce que Jésus attend de nous pour être sel de son Evangile dans cette pâte humaine, c’est à dire dans chacune de nos familles, dans la famille-Eglise et dans la grande famille- société Seychelloise.
Une Eglise synodale est un corps dont la tête est Jésus et chaque baptisé un membre – les uns plus importants que les autres – et dont les évêques et les ministres ordonnés sont des humbles serviteurs. Nous avons besoin du soutien des uns des autres, même les membres les plus fragiles et faibles, pour avancer dans notre marche.
4.b. La première étape fut extrêmement importante car, sans un minimum de ‘self-esteem’, une personne, une famille ou une communauté humaine, aura beaucoup de mal à avancer. Si toute la journée nous disons à une personne qu’elle est un zéro, elle risque de se prendre effectivement pour une personne nulle! Comme croyant c’est si important de reconnaitre que nous avons de la valeur aux yeux de Dieu et que, avec toutes nos fragilités et faiblesses, le Seigneur est avec nous pour nous aider à faire des pti lepa – pti lepa.
4.c Après donc une première étape bien importante où nous avons pris le temps de prendre conscience de tous les pas positifs vécus au sein de chacune de nos familles, de la famille-Eglise, au sein de la grande famille-société Seychelloise, et après avoir rendu grâce au Seigneur pour la présence et l’accompagnement de Jésus -Emmanuel, nous abordons l’étape suivante.
4.d. Avec le temps du carême, nous abordons donc une nouvelle étape de notre marche synodale. Le carême est une chance. Avec le Seigneur nous pouvons prendre un nouveau départ et recommencer notre marche, même si c’est autrement. Nous sommes invités à nous poser une simple question: « Avec I’encouragement et la force de Dieu, quelles conversions sommes-nous appelés à vivre pour mieux témoigner de Jésus ? » Oui, quelles sont les conversions à vivre au sein de chacune de nos familles, de la famille-Eglise et de la grande famille société seychelloise pour que nous soyons plus libres, plus responsables, plus fraternels ? Je vous encourage personnellement mais aussi en groupe (en famille, entre collègues de travail ou entre amis, au sein des groupes synodaux) à vous interroger, à prendre la parole et à nous (l’équipe responsable du synode) partager vos réflexions. (Adresse: Mlle Maryvonne Gabriel : PO Box 43, Victoria, Mahé; email secretaryrcc@email.sc) Chacun de votre partage est si important pour notre discernement : qu’est-ce que Jésus attend de nous, ici aux Seychelles?
5. En ce temps de carême, je nous invite à nous replonger dans la source vive des Saintes Ecritures pour entrer en conversation avec notre Seigneur. Ainsi, sans pour autant négliger d’autres analyses, nous pourrons bénéficier d’une ressource si importante (la Parole de Dieu) pour aller à la racine même de nos dérèglements, voire de nos égarements, mais surtout, avec l’aide du Seigneur et notre participation tous, pour inventer demain. Pour cela je vous propose de méditer les lectures que la liturgie nous propose chaque dimanche du carême.
5.1 1e dimanche de carême: Luc 4 vs 1-13 Jésus est confronté à 3 tentations fondamentales qui sont à la racine des fléaux qui blessent profondément nos vies personnelles et en société. Le démon veut nous détourner du chemin du bonheur. Il est le menteur. Ce qui est grave dans le péché ce n’est pas tant de désobéir à des règles morales que de nous détourner du chemin d’une vie réussie. Repoussant la première tentation, Jésus dit au démon : ‘Ce n’est pas seulement de pain que I’homme doit vivre.’ Evidemment que toute personne a besoin de pain et la recherche du bien-être est loin d’être condamnable, tout comme partager un bon repas en famille ou entre amis! Le mot important dans cette mise en garde de Jésus est, me semble-t-il, SEULEMENT. La vie n’est pas SEULEMENT manze bwar anmize. La gourmandise (la course à la consommation en tout genre), la luxure (la jouissance pour la jouissance) sont des cancers dans nos vies. La deuxième tentation c’est la tentation de l’avoir comme le suggère le démon: ‘avoir tout’ et cela à n’importe quel prix, même en se prosternant devant lui. Que c’est tentant de vendre notre conscience, notre corps, notre âme au démon pour avoir l’argent facile et ainsi assouvir notre soif de toujours plus! La troisième tentation est la tentation du fatalisme, d’une religion magique. « Jette-toi d’ici en bas ….les anges te porteront sur leurs mains… » Au lieu de voir les problèmes en face et d’assumer nos responsabilités avec la force de Dieu, nous nous abandonnons à des pratiques superstitieuses, à des séances poussent nanm qui nous déresponsabilisent, même si cela nous donne l’illusion d’un soulagement! Jésus est plus fort que le mal. Avec la force de l’Esprit-Saint le péché n’est pas une fatalité. Pécher n’est pas humain. Pécher c’est renoncer à notre humanité.
5.2. Deuxième dimanche de carême: Luc 9 vs 28-36 En ce deuxième dimanche du carême, nous sommes invités à être des témoins, tout comme Pierre, Jacques et Jean, de l’expérience de la transfiguration vécue par Jésus sur la montagne. Dans la Bible, la montagne est un lieu privilégié de la rencontre de Dieu. Pensons, entre autres, à Moise, au prophète Elie. Au cœur d’une relation faite de totale confiance en Dieu son Père, Jésus est transfiguré. Tout comme la lumière fait ressortir les différentes couleurs d’un vitrail, la relation de Jésus avec son Père est une lumière qui nous fait découvrir qui est Jésus : « Celui-ci est mon fils bien aimé…écoutez le. » Nous aussi au cours de ce carême, à la suite de l’invitation de Jésus, nous sommes invités à monter ‘sur la montagne’. Avec nos frères dans la foi, par le temps passé en compagnie de Jésus dans le silence, en écoutant sa Parole, en lui parlant de tout ce qui fait notre vie, nous sommes invités à entrer dans la dynamique de sa relation à Dieu son Père. Au cœur de ce cœur à cœur, même si il y a tant de boue sur notre cœur, laissons-nous être transfigurés. Alors, plus transparent à la lumière de Dieu, nous serons capables, une fois descendu de la montagne, de poursuivre, dans la joie, notre marche humaine, mais autrement.
5.3 Troisième dimanche du Carême : Luc 13 vs 1-9 Pour la Bible, Dieu n’envoie pas des malédictions. Le massacre des Galiléens par Pilate et la chute de la tour de Siloé, qui avait provoqué la mort de l8 personnes, ne sont pas une punition de Dieu. C’est ce que nous dit Jésus dans l’évangile que nous allons entendre en ce troisième dimanche de carême. Le Dieu qui se fait connaitre dans la Bible est un Dieu qui voit la misère de son peuple. Un Dieu qui souffre lorsque son peuple souffre. Un Dieu qui veut nous libérer de nos esclavages des temps modernes: l’esclavage des addictions telles la pornographie, la superstition et la prière magique, l’argent gagné à n’importe quel prix. Dieu est un Dieu patient envers nous. Il se tient à nos côtés. Il nous prend par la main. Il nous invite à la conversion pour que notre vie ne tourne pas en un enfer. Il croit en nous et en notre capacité de changer mais comme nous dit saint Augustin : « Dieu nous a créés sans nous, mais il ne veut pas nous sauver sans nous. » La prière chrétienne n’est pas une incantation magique. Prier c’est accueillir Dieu qui est un Abba (un papa avec un cœur de maman) comme nous dit Jésus. En ce temps de carême demandons à l’Esprit Saint la joie de vivre des conversions en tant que famille, comme Famille Eglise et au sein de la grande famille-société Seychelloise. Avec toute notre liberté humaine, laissons-nous libérer par Dieu le Père qui vient nous sauver par la mort et la résurrection de Jésus.
5.4 Quatrième dimanche de carême : Luc 15 vs 1-32 Dieu vient à notre recherche comme ce papa va à la recherche de ses deux fils – le cadet et l’ainé – dans l’évangile que nous sommes invités à méditer en ce quatrième dimanche de carême. Assez souvent nous disons que nous recherchons Dieu. Ce n’est pas faux ! Néanmoins, pour la foi chrétienne, c’est toujours Dieu qui prend l’initiative et qui, le premier, vient à notre recherche. C’est parce que Dieu nous recherche que nous le recherchons. Dans la parabole du Père, prodigue d’amour, il y a deux fils. Très probablement nous (personnellement mais aussi en tant que communauté chrétienne) ressemblons un peu à ces deux fils! Parfois nous sommes comme le fils cadet. Nous pensons, même si nous ne l’avouons pas officiellement, que le plus loin nous serons de Dieu, plus nous serons libres pour vivre pleinement notre vie. Dieu et ses commandements sont perçus comme un frein à la joie de vivre. Il faut bien le reconnaitre que parfois nos communautés chrétiennes présentent un visage un peu triste – ‘figir boudé e sever’ et certains courants religieux font du marketing de recrutement n’hésitant pas à ‘profiter’ de la souffrance des personnes. Pour beaucoup, le chemin hors de la religion semble avoir plus de goût ! Par ailleurs, comme le fils cadet nous avons un lien souvent intéressé avec Dieu. Nous le prions le plus souvent pour lui faire des demandes ! Nous retournons, comme le fils cadet, lorsque nous avons épuisé toutes les autres possibilités – Ki wa fer! D’autres fois nous sommes comme le fils ainé. Nous avons une relation avec Dieu ‘donnant-donnant’. Je suis un bon pratiquant et ce n’est pas juste que je sois malade! En tant que communauté chrétienne, mais aussi personnellement, nous sommes parfois rigides. Nous avons des paroles dures pour ceux qui se sont égarés. Bref nous qui obéissons aux commandements (ou prétendons les vivre) sommes parfois, comme le fils ainé intolérants pour ceux qui ont chuté à I’exemple du fils cadet. Nous sommes pas comme ces gens-là nous…idolâtres, vicieux, menteurs ! La Bonne nouvelle c’est que le papa de la parabole sort et va au-devant des 2 fils. De même, gratuitement et parce qu’il nous aime, Dieu vient à notre rencontre. Dieu nous invite à la joie et à la fête. En ce temps de carême, laissons Dieu nous serrer dans ses bras et dansons nos vies au rythme de l’Evangile. Soyons une Eglise en sortie à l’exemple de Dieu.
5.5 Cinquième dimanche du carême : Jean 8, 1-11 Quelle Bonne Nouvelle (Évangile) sommes nous invités à entendre ce matin ? Tout comme à cette femme adultère, Jésus dit à chacun de nous, mais aussi à chacune de nos familles ainsi qu’à notre communauté chrétienne : « Moi non plus je ne te condamne pas . Va, et désormais ne pêche plus. » Le synode que nous sommes en train de vivre nous invite à la vérité. Reconnaître nos adultères, non pour nous humilier, mais pour réentendre ces paroles de Jésus. ‘Je ne te condamne pas’. Dieu nous pardonne de toutes nos idolâtries, c’est à dire des faux dieux de l’argent à n’importe quel prix, les faux dieux de la consommation excessive , de la sexualité banalisée. Dieu nous libère, gratuitement et par son pardon, de tous nos démons qui nous conduisent à notre ruine. ‘Va, et désormais ne pêche plus.’ Quelle bonne nouvelle ! Dieu croit en nous. Avec son soutien Jésus (chacun de nous mais aussi notre communauté) croit en notre capacité de changer, de nous relever et de vivre une vie vraiment humaine. De nombreuses lapidations se vivent chaque jour et ‘en live’ à travers les réseaux sociaux. Que de personnes sont harcelées par des paroles méchantes ou par des photos dégradantes! Que de personnes, à l’exemple de cette femme adultère, sont traînées dans la boue. Derrière l’anonymat de nos écrans, parfois par nos ‘like’, nous sommes acteurs ou spectateurs de ces lapidations des temps modernes en direct. Par nos messages lapidaires nous pouvons si facilement et lâchement détruire non seulement la réputation d’une personne mais la personne elle même. Puissions nous entendre cette interpellation de Jésus : « Celui d’entre vous qui est sans péché, qu’il soit le premier à lui jeter la pierre. » Il ne s’agit pas évidemment de ne pas dénoncer des situations qui dégradent l’humanité en nous et autour de nous. Il ne s’agit surtout pas de dire que finalement nous sommes tous des corrompus. Tous pourris ! Non, nous avons un devoir de vérité et de justice. Par contre, comme nous le rappelle le pape Benoît XVI la charité dépasse la justice, justice par ailleurs nécessaire. Nous sommes invités, même au cœur de nos combats contre tout ce qui dégradent les humains, d’avoir des cœurs compatissants. Nous combattons la prostitution sous toutes ces formes – qui réduit des personnes en esclavage – mais nous n’avons pas à juger les prostituées.
6. Conclusion. Le temps du synode pour promouvoir une Église synodale est un temps de discernement. Nous sommes tous invités à être attentifs à nos réalités de vie et, en les éclairant à la lumière de l’Evangile, de nous laisser libérer par Jésus. Que ce temps du carême soit un moment favorable, avec la force de Dieu, pour traverser (la pâques) de nouveau ‘la mer rouge’ et prendre la route de la liberté, de la fraternité, du Royaume de Dieu.
+ Alain Harel
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